Leos Janáček (1854-1928) : Sur un sentier broussailleux (livres I et II), Dans les brumes, Sonate 1.X.1905. Zoltán Fejérvári (piano). 2019-DDD-61’19-Texte de présentation en anglais- Piano Classics PCL 10176
Peu connu encore chez nous, le pianiste hongrois Zoltán Fejérvári, vainqueur en 2017 du Concours de Montréal, nous propose ici un enregistrement qui est bien plus qu’un disque-carte de visite. C’est une quasi intégrale de l’oeuvre pianistique de Janáček que nous propose le pianiste hongrois dans une superbe version faite de cet alliage d’intelligence sans cesse en éveil, de fraîcheur d’âme et de sensibilité frémissante sans lesquels ils n’est pas d’accès réussi à la musique du singulier maître de Brno.
Comparée à sa production d’opéras ou même de musique de chambre, l’oeuvre pour piano seul de Janáček n’occupe qu’une place réduite dans la création du compositeur morave et s’étend sur à peine la première douzaine d’années du siècle précédent.
Mais comme toujours chez ce créateur hors normes, elle est marquée par un langage d’une étonnante originalité qui n’a rien d’extravagant ou de capricieux, mais n’est rien d’autre que le véhicule le plus approprié à l’expression des sentiments de l’auteur.
L’interprétation que donne de ces oeuvres Fejérvári a quelque chose de stupéfiant dans cette façon dont, pourvu de cette liberté que seule permet une technique parfaite, il parvient à infailliblement toucher au coeur même de cette toujours fascinante musique. Dès le premier cahier de Sur un sentier broussailleux (le second, plus conventionnel, qui conclut cet enregistrement ne présentant pas le même niveau d’originalité et de qualité), Fejérvári enchante en retrouvant ce don d’enfance qui illustre ces miniatures d’un compositeur qui se situerait quelque part entre Schumann et le Debussy des Préludes, réussissant à capturer la tendresse ou la pointe de nostalgie qui parcourent tant de ces brefs morceaux.
On ne cesse d’admirer l’articulation parfaite comme l’usage magistral que fait de la pédale le pianiste hongrois, comme de sa façon de véritablement sculpter le son. Ajoutons qu’il est idéalement servi par un excellent instrument et une prise de son superlative.
Dans les quatre pièces du beau cycle Dans les brumes, c’est à nouveau un poète qui parle. Dans les trois premiers morceaux, Fejérvári se montre finement pudique et fait parfaitement ressortir la douleur discrète -si proche de celle qu’on trouve chez Schubert- qui si souvent affleure ici. Le caractère plus sombre et percussif, bartokien presque, du Presto final est superbement rendu.
Dans la Sonate (écrite en mémoire d’un ouvrier tombé lors d’une manifestation nationaliste tchèque réprimée par l’armée à Brno le 1er octobre 1905), Fejérvári, servi par une superbe finesse de toucher et des réflexes fulgurants, rend magnifiquement la véhémence et les ruptures de ton du premier mouvement (Pressentiment) comme il se montre d’abord impassible dans le glas qui ouvre la deuxième partie (Mort) puis se transforme en marche funèbre avant de déboucher sur une résignation empreinte de simplicité, zébrée parfois de quelques véhémences.
Zoltán Féjérvári nous donne ici un disque dont on ne se lasse pas, et chaque nouvelle écoute nous fait découvrir de nouvelles beautés tant dans les oeuvres proposées que dans une interprétation d’une qualité exceptionnelle.
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 9 - Interprétation 10
Patrice Lieberman